La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter à Bruxelles une exposition personnelle de l'artiste indien Viswanadhan, après une première présentation remarquée à Paris en 2024, célébrant ainsi le début de sa représentation par la galerie. Figure majeure de la peinture abstraite contemporaine, l'artiste connaît une reconnaissance internationale qui s'accentue encore en 2025. La Biennale de Sharjah lui a ainsi dédié un pavillon monographique, réunissant plus de quarante œuvres couvrant six décennies, à travers lesquelles il explore les géométries tantriques de son enfance, dans un mouvement subtil qui les fait cheminer vers la modernité.
L'exposition propose une sélection d'œuvres sur papier (2014-2016) offrant une immersion au cœur de la recherche artistique de Viswanadhan : une traversée d'espaces où couleur, lumière et geste s'entrelacent, flirtant avec le sacré. Dans cette volupté de tonalités, le rouge s'affirme peu à peu comme la couleur dominante. Il incarne l'épure progressive d'une palette qui, dès la fin des années 1990, se resserre autour des couleurs traditionnelles du kalamezhuthu¹ - vert, jaune, rouge, noir et blanc. Rouge souverain, rouge comme énergie vitale, rouge profondément enraciné la région natale de l'artiste.
Né en 1940 dans un village du Kérala, au sud de l'Inde, au sein de la communauté des Vishvakarmas - artistes, artisans, sculpteurs ou architectes liés au temples - Viswanadhan grandit dans un environnement où la spiritualité infuse chaque geste. Initié dès l'enfance à la sculpture des idoles et aux mandalas, il développe très tôt un rapport intime aux formes, aux rythmes et aux symboles qui continuera de résonner en filigrane tout au long de son œuvre.
Sa formation au Government College of Arts and Crafts de Madras (aujourd'hui Chennai) l'initie aux fondements de l'art occidental. Tandis que l'école de Bombay s'empare directement des avant-gardes internationales, celles de Madras et de Calcutta privilégient une approche plus syncrétique, articulant les savoirs de la culture occidentale issus de la colonisation britannique et les « savoirs innés », non codifiés, issus des cultures traditionnelles indiennes.
Cette démarche s'affirme encore en 1968, lorsqu'il quitte l'Inde pour voyager en Europe. Sa rencontre décisive avec Myriam Prévot à Paris, alors directrice de la Galerie de France, joue un rôle déterminant : elle lui offre sa première exposition personnelle en 1970, l'incitant à s'installer durablement dans la capitale, tout en maintenant un lien profond avec son pays natal. Cofondateur en 1966, avec K.C.S. Paniker, du Cholamandal Artists' Village, il y retourne régulièrement pour travailler dans son atelier d'origine. Comme le souligne Bernard Blistène, cette circulation constante entre deux mondes confère à son approche « ce double mouvement, à la fois singulier et complexe, dans lequel nos contemporains reconnaissent une modernité plurielle »².
Viswanadhan fait de la géométrie tantrique le langage central de son œuvre. Le Shri Yantra, motif sacré de l'hindouisme, y apparaît transfiguré dans une écriture presque calligraphique, il devient un ensemble de lignes et d'intervalles où se rejouent l'équilibre des contraires et la circulation entre cosmos et intériorité. À partir des années 1990, son travail s'oriente vers une épure croissante : formes resserrées, palette réduite à des tonalités symboliques, lumière vibrante rendue par la caséine sur la toile ou des papiers artisanaux qu'il affectionne particulièrement.
Viswanadhan inscrit le mouvement dans chaque trait et nuance, les transformant en parcours plutôt qu'en surface. Il privilégie une structure horizontale où l'image glisse, s'approche, s'éloigne. Un choix qui se conjugue avec sa pratique cinématographique. Il est l'auteur d'une série de films sur les cinq éléments, Sable/Sand, Eau/Ganga, Agni/Feu, Air/Vayu et Ether/Aakash qui explorent poétiquement les paysages indiens, les lieux mythologiques, les gestes symboliques de l'Inde vernaculaire. Plus tard, son film Les Terres de France (2015), rend hommage à ses maîtres européens en une installation de 21 panneaux de terres. Cette œuvre est aujourd'hui, avec celle issue de son film Sable, dans la collection d'Art Moderne et Contemporain du Centre Pompidou.
Au sein de ces singularités, l'œil occidental cherche parfois, maladroitement, à inscrire les images de Viswanadhan dans une grille esthétique familière, au risque d'en altérer l'essence. Ces lectures superficielles ne perçoivent pas la profondeur de son geste. Jean-Jacques Lévêque³ l'a exprimé avec justesse : Viswanadhan est un « arpenteur de l'infini », celui qui, par le geste, ouvre et cultive l'espace.
Suspendues comme des fenêtres ouvertes, les œuvres de Viswanadhan invitent à franchir le seuil d'un inconnu vibrant, où « le grand inconscient » affleure. « Les peintures naissent du vide émerveillé qui s'installe. Elles sont des miroirs de l'absence, d'un espace plus vaste au-delà », écrit Michael Peppiatt⁴. Ainsi se déploie l'art de Viswanadhan : une traversée, un appel, un espace offert - où la peinture ne dit pas le monde, mais révèle en nous ce qui demeure sans limites.
--
¹ Pratique rituelle du Kerala consistant à tracer au sol des figures sacrées à l'aide de poudres de couleurs végétales ou minérales (noir, rouge, jaune, vert, blanc), traditionnellement réalisées lors de cérémonies dédiées aux divinités.
² Bernard Blistène, Le Maître et l'Univers [catalogue], Galerie Nathalie Obadia, 2025. Bernard Blistène est historien de l'art et conservateur français, ancien directeur du Musée national d'Art moderne - Centre Pompidou (2013 2021).
³ Jean Jacques Lévèque est historien et critique d'art français.
⁴ Michael Peppiatt est un historien et critique d'art britannique. Il a organisé de nombreuses expositions consacrées à des artistes du XXe siècle, comme Alberto Giacometti, Christian Schad ou Antoni Tàpies, et est reconnu comme une référence majeure dans le domaine de la critique.
