La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter à Bruxelles la première exposition personnelle de Johanna Mirabel, après celle tenue l'an passé dans la galerie du quartier de Beaubourg.
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2019, Johanna Mirabel est une artiste française d'origine guyanaise dont le travail s'impose rapidement sur les scènes artistiques française et internationale. Elle est notamment récompensée par le Ritzau Art Prize à New York en 2022, à Paris par la bourse Emerige en 2023, et à Miami en 2024 par le prix CPGA Etant Donné. Avec sa sœur Esther Mirabel, elle est lauréate de la promotion 2026 de la Villa Albertine. Le Frac Auvergne lui consacre une ambitieuse exposition personnelle à la fin septembre 2025.
Avec sa précédente série Adieu la Chair, l'artiste se tourne vers la représentation du carnaval, en faisant dialoguer peinture classique, citant les tableaux d'Ensor, avec manifestations du festival en Guyane, explorant leurs connexions syncrétiques. Adepte d'un universalisme non militant, Johanna Mirabel est connue pour orchestrer dans sa peinture le mariage entre différentes cultures, puisant dans des sources multiples : des archives photographiques personnelles de moments vécus en Guyane aux citations de l'histoire de la peinture occidentale, notamment Francis Bacon et Diego Velázquez.
Dans sa nouvelle exposition, Johanna Mirabel s'intéresse au motif des ex-voto, et tout particulièrement à leur potentiel de métissage symbolique. Aussi appelées peintures votives, ces représentations naïves, souvent réalisées en remerciement d'une puissance spirituelle, sillonnent l'histoire de la tradition picturale, se développant au Moyen Âge en Europe, avant d'arriver en Amérique latine et au Mexique au XIXe siècle. Nommés retablos ou laminas au Mexique, les ex-voto mêlent héritage catholique espagnol et traditions précolombiennes, incarnant une tension entre sacré et profane, représentant aussi bien des scènes de catastrophe, de guérison ou autres preuves de miracles.
Les nouveaux tableaux de Johanna Mirabel puisent ainsi dans le caractère narratif de ces peintures populaires, prêtant son goût pour les scènes d'intérieur aux thématiques de guérison souvent centrées autour d'un lit. Sans illustrer d'histoires précises, l'artiste choisit de représenter des archétypes de la représentation des ex-voto : guérisons, incendies, ainsi que scènes de recueillement. Ce faisant, elle approfondit l'exploration du potentiel syncrétique d'un système de représentation transculturel. Plutôt que d'inscrire ses personnages dans une tradition ou une époque spécifique, elle se concentre sur la précision des détails : les mains et les pieds sont finement travaillés, et une attention particulière est portée aux postures.
Si les ex-voto sont traditionnellement des peintures de petit format, faute de moyens de leurs auteurs, l'accumulation de vignettes à laquelle on peut les associer se traduit autrement dans certaines œuvres de l'exposition, tout comme dans Before It Speaks (titre en français : Avant que ça ne parle) où de petits cadres verts sont regroupés.
Explorant la peinture votive à l'ère contemporaine, l'artiste mobilise un vocabulaire pictural varié, à la fois abstrait, expressif et gestuel. Elle emprunte notamment la tradition de la représentation solennelle d'Albrecht Dürer ou Egon Schiele dont les corps en tensions évoquent une spiritualité incarnée.
De grand gestes abstraits deviennent le liant entre les différents régimes d'images et références que l'artiste emploie pour détourner les codes narratifs des ex votos : une manière de se réapproprier l'iconographie de la peinture votive et d'en ouvrir le discours.
Dans White Heat (titre en français : Incandescence), les personnages se recueillent dans un espace clos, dominé par de généreux coups de peinture pourpre, inédite dans le travail de l'artiste, et choisie pour son allusion au sacrée, souvent associée au Carême. Ces tons violets trouvent leur complémentaire dans les ocres devenus la signature de l'artiste, évoquant autant les terres de Guyane que la technique de la sanguine, pigment rouge sol employé à la Renaissance. Sur le plan symbolique, le violet est un alliage de rouge, évoquant dans l'iconographie religieuse la chair, le sang et la vie, et de bleu, couleur à la portée spirituelle, associée à la dévotion. Ce mélange est ainsi celui du vivant et du sacré créant un espace à la fois incarné et mystique.
Toujours en quête d'expérimentations picturales et travaillant depuis peu l'intégration de différentes écritures, abstraites et réalistes, au sein d'une même œuvre, Johanna Mirabel continue à étendre son champ de création, cette fois ci en travaillant pour la première fois sur aluminium. Cette référence aux ex-voto, souvent peints sur des supports métalliques, n'est pas sans rappeler les peintures sur métal de Robert Rauschenberg. Ce matériau inédit dans sa pratique lui permet d'explorer différentes textures et effets de matière, pensés dans leur variété comme une allusion à un monde pluriel et multiculturel qui prône le dialogue entre différentes identités.
Sensible à l'actualité, l'artiste choisit de continuer à faire entrer dans la représentation des concepts multiculturalisme et de mixité. Johanna Mirabel choisit de représenter des catastrophes typiques des ex-voto dans un contexte politique où les identités multiples sont par endroits remises en question, créant pour certaines populations minoritaires un ressenti de menace de leur existence.
Les références littéraires de Johanna Mirabel, notamment les écrits d'Édouard Glissant, nourrissent ici une réflexion sur l'histoire des ex-voto mexicains, celle de la créolisation d'un système de croyance qui trouve son origine dans l'Espagne catholique avant d'être approprié par une culture autochtone. S'ancrant dans la tradition des peintures votives, Johanna Mirabel développe ainsi un langage sensible à la portée universelle servi par une palette lumineuse et expressive.