La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter Apocalyipstick, la quatrième exposition personnelle de Fabrice Hyber à la galerie, après Habiter la forêt en 2021. Lauréat du Lion d'Or à la Biennale de Venise en 1997, l'artiste développe depuis plus de trente ans une œuvre en expansion continue, à l'image d'un rhizome : un système de pensée et de formes interconnectées, fondé sur la prolifération, la transformation et l'expérimentation plastique. Alors que l'Apocalypse - qu'elle soit écologique, biologique ou nucléaire - envahit les discours contemporains, l'œuvre de Fabrice Hyber en offre un revers inattendu. À travers un ensemble de nouvelles peintures et céramiques, l'artiste explore cette notion non comme une fin inéluctable, mais comme un passage vers la transformation, visant à révéler, au-delà de l'effondrement, la promesse d'une renaissance en gestation.
"Et quand le premier ange sonna de la trompette, il eut grêle et feu brouillé de sang précipité sur la terre, le tiers de la terre fut brûlé, le tiers des arbres fût brûlé, toute herbe fût brûlée." ¹
Et si, au fond, l'Apocalypse n'était pas une fin, mais une métamorphose ? Un appel à transformer les catastrophes en récits fertiles, à jouer avec le langage pour révéler ce qui, sous les cendres, attend de renaître. C'est dans cette dynamique que s'inscrit la démarche de Fabrice Hyber, qui, tel un chercheur ou un botaniste, note, mesure, calcule et annote sans cesse ses œuvres, en quête de nouvelles découvertes. Pour l'artiste, l'Apocalypse va au-delà de la destruction, célébrant "ce qui renaît dans une forêt brûlée, un terrain asséché ou une communauté terrassée : il y a toujours des vies qui réapparaissent, des mots qui renaissent, des comportements qui persistent", déclare-t-il.
L'attachement de Fabrice Hyber à la nature - et à la forêt en particulier - est profond. Il y a presque trente ans, l'artiste a lancé un projet ambitieux : reboiser 70 hectares autour de son atelier en Vendée, une initiative qui incarne sa vision de la nature comme un espace de régénération. Cette dynamique irrigue l'ensemble de son univers, foisonnant de végétaux, de champignons, de racines tentaculaires et d'"hommes-arbres" tendus vers le ciel. Ce lien organique entre le cosmos et le sol se manifeste jusque sur ses céramiques, où l'on aperçoit une météorite fendre les nuages, comme un présage. Pourtant, sous cette tension apocalyptique, des formes demeurent en latence - telles des "graines de champignon" enfouies sous terre, prêtes à se déployer au cœur du chaos. Ces dynamiques, observées avec une approche à la fois scientifique et poétique, imprègnent chaque geste de création, esquissant des flux organiques sans fin.
Dans ce nouveau corpus, aux pastels, fusains, peinture à l'huile et résine, le rouge à lèvres fait son retour - un matériau déjà présent dans ses premières œuvres. Il perturbe l'univers visuel de l'artiste, opposant culture manufacturée et matière organique. Cet objet jalonne la carrière de Fabrice Hyber, marquant un tournant dès Le Mètre carré de rouge à lèvres (1981), sa première peinture, jusqu'à Un mètre cube de beauté, une installation monumentale présentée au Palais de Tokyo en 2012-2013. Le rouge à lèvres - et surtout le geste qu'il implique - dépasse la simple application. "Je préfère le poser sur un tableau plutôt que sur des lèvres", affirme-t-il. "J'ajoute quelque chose, une possibilité, un comportement. Une œuvre d'art, c'est quelque chose qui est donné en plus." ²
Ainsi, dans le titre même de l'exposition Apocalyipstick, tout est déjà suggéré : le chaos et la beauté, l'effondrement et l'éclat. Ce néologisme incarne les hybridités chères à Fabrice Hyber, où se mêlent jeux de sens, dérives linguistiques, connexions souterraines et ascensions célestes. Dans ce monde en constante mutation, les matériaux parlent : la résine - telle une sève - lie les éléments et colmate les fractures. L'application du lipstick devient un geste prophétique : il colore la catastrophe et en révèle "un revers joyeux", selon l'artiste.
Confronté aux bouleversements du monde, l'art contemporain néglige parfois sa propre puissance créatrice, se perdant dans le spectacle de la destruction au détriment de l'invention³. Fabrice Hyber choisit une voie radicalement différente : Apocalyipstick propose une vision dans laquelle le passé, le présent et le futur s'entrelacent sans hiérarchie. À l'image de l'Apocalypse de Jean (1:8) : « ce qui est, ce qui était, ce qui vient », l'artiste traverse les temporalités, faisant des fossiles et des graines les symboles d'un avenir en germination. Ce cycle trouve ses racines dans un acte fondateur : Le Mètre carré de rouge à lèvres, sa première peinture. Ce retour à ce matériau n'est pas nostalgie, mais une quête d'énergie pour recommencer sans cesse. Chaque œuvre devient ainsi une strate, un palimpseste, un terrain d'éveil où l'effondrement n'est jamais une fin, mais un ferment de métamorphose.
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¹ Apocalypse de Jean, 8:7, La Bible (traduction Louis Segond)
² "Il est interdit de mourir", entretien de F.H. avec Thierry Laurent, Au même titre Éditions 2003, p.30 cité dans Bernard Marcadé, L'art c'est toutes les possibilités du monde, Flammarion, 2009.
³ Idée évoquée par BRUN, Jeanne, « Apocalypse. Hier et demain : une grande révélation ? », France Culture, 20 février 2025